Parole tenue …
C’est une journée printanière.
Place de la Victoire, je prends la ligne « B » du tramway, direction Domaine Universitaire. Je descends à l’arrêt « Montaigne-Montesquieu ».
Sur le chemin qui mène chez moi, je traverse des espaces verts où les blanches pâquerettes font triste mine à «l’ombre des jeunes filles en fleur » (Ah Proust !).
Bras et jambes découverts, de nombreuses étudiantes se prélassent sous l’agréable caresse des rayons du soleil de l’après-midi.
Les bâtiments alentour semblent désertés. Filles et garçons, hors les murs, ont envahi l’herbe du campus.
Du côté de la « Maison des Arts », je suis curieux de savoir ce qui se passe autour de cette jeune fille qui pose. Figée, deux pinceaux-brosses piqués dans sa chevelure, elle sert de modèle à certains qui dessinent ou peignent, appliqués devant leur chevalet. Pendant que d’autres s’activent caméras et appareils photos en main. Je m’approche discrètement de celle qui, assise en tailleur, prend des croquis de ses camarades. Elle m’apprend qu’ils recueillent, chacun à leur manière, de la matière pour une future réalisation collective.
Leur thème : « le mouvement » !
Je n’en demande pas plus, je ne veux pas les déranger.
J’ai décidé d’en faire un « billet » car ils m’avaient accordé la possibilité d’utiliser sur mon blog des photos que j’avais prises d’eux.
Je les leur ai d’ailleurs envoyées par courriel dans l’heure qui a suivi, comme promis.
Parole tenue !
Mais pouvaient-ils se douter de ce qu’ils m’apportaient en acceptant ma présence ?
?
Grâce à eux, que d’inoubliables séances de travail avec d’autres jeunes me sont revenues en souvenir!
J’ai aussi alors pensé à un texte, trouvé par hasard sur le net, il y a peu de temps. Celui d’une enseignante de philosophie, Anne THEVENIAUD qui présentait en octobre 1982, dans la revue LA BRECHE, ses visites au Musée des Beaux-Arts de Pau. Elle y mentionne mes animations auprès de ses élèves.
En voici un extrait :
« Et si on allait au musée ?
1975, c’est ma première année d’enseignement : une bonne année, la classe de terminale A de 18 élèves (!) créée au dernier moment. Après quoi, logés dans un préfabriqué, nous y serons un peu oubliés. Alors, parfois, on improvise. Un jour, cette demande: “et si on allait au musée ?” Il suffit de traverser la rue, et c’est l’aventure.
Le musée ? On découvrira un “lieu” où se mouvoir et parler autrement, où voir, toucher, bouger enfin! Et puis ces infantes de Vélasquez qui ornent tous les manuels, elles ont subi un bien curieux traitement de la part de ces peintres espagnols contemporains (Equipo Crónica) qui exposent actuellement: représentées en poupées russes, ou encore trouées de balles, ensanglantées de taches violentes. . . Mais alors, c’est quoi au juste la peinture ?.. Et le musée, il n’est pas là pour “Conserver” les grandes œuvres ?.. Je me promets de revenir !
Vous avez dit: de l’art ?
1976 : Je suis de retour avec une nouvelle classe, mais pas en tourisme de fin d’année scolaire. Ange Perez, chargé de l’animation socio-culturelle nous reçoit.
Cette fois, on part d’un diaporama réalisé à partir d’œuvres contemporaines, avant-gardistes, exposées récemment, sur une musique de Xenakis (Orient-Occident). De l’image de Cartier-Bresson “Solitude à la terrasse d’un café” à la représentation d’un écouteur téléphonique rouge sur coussin de mœlleux skaï noir , la succession est provocatrice. Elle sera vécue comme une agression, une déchirure.
Chacun sera touché par ces images repoussantes et attirantes. Ici, installés en cercle sur des fauteuils-tube-vert pomme, on peut en parler. On s’autorise à réagir, à refuser même: “ On se fout de nous! ”. On osera aussi finalement s’y reconnaître. Ainsi, “hors des murs de l’école”, quelque chose peut se dire au sujet de la violence, celle qui nous est faite, celle aussi qui est en nous, mais secrète, interdite. Trouve là son expression, ce qui ne peut pas se dire, justement (à l’école entre autres).
Et si on se mettait à faire quelque chose ?
1978 : Ma question. Comment ne pas réduire cette expérience à un simple échange verbal ? Le musée n’est pas seulement le moyen d’exprimer des tensions dont l’école barre toute parole. Ainsi, aller plus loin, ce sera mettre les élèves en situation de créer eux-mêmes. Ange Perez met à leur disposition des diapos d’œuvres. A eux d’en faire un montage, un texte lisible pour d’autres. On travaille vite, par groupe d’une dizaine. On aura le temps de voir quatre ou cinq productions intéressantes, de demander à l’un ou l’autre ce qu’il a voulu dire par le choix des images, leur succession, la musique choisie.
C’est une expérience au plan de l’émotion, du regard, de l’échange dans le groupe. “II s’est passé quelque chose”. Ange Perez sera accueilli dans la classe trois semaines après sur la demande des élèves, et l’échange pourra se poursuivre “dans les murs”. »
Les temps auraient-ils changé à ce point ?
A l’heure où des enseignants suivraient des formations « anti-chahuts », il est légitime de se poser des questions.
Qu’est donc devenue la relation élèves/professeurs qu’il faille, aux seconds, en passer par là aujourd’hui ?
Supprimer de plus en plus de postes , maintenir le nombre d’élèves par classe à son niveau actuel, faire l’apologie de la méritocratie, ouvrir l’école aux interventions musclées des forces de l’ordre, privilégier la répression à la prévention, sont-ce les meilleurs moyens pour aider les jeunes à se réaliser, à se motiver , à se projeter comme futur adulte et imaginer un devenir de façon positive ? Qu’est-ce qu’éduquer?
Qui en porte la responsabilité ?
Comment ne pas comprendre la grogne qui s’élève à l’encontre d’un pouvoir destructeur, déstabilisant, qui de façon insidieuse pousse au « je m’en foutisme » ?
Tant de promesses nous furent assénées par ceux qui nous gouvernent, aussitôt oubliées, détournées …Parole tenue ?
Faudra-t-il s’étonner si demain la violence, contenue jusque là, grimpera encore d’un cran
Ange Pérez